La
calligraphie chinoise n'est composée que de lignes immobiles,
mais qui ne laissent pourtant personne indifférent. Tout le
monde, même ceux qui ne connaissent pas cette forme
d'écriture, s'arrête, contemple, saisi par le message de
ces signes. Pourquoi tant de force et tant de vie exprimées dans
ces lignes ?
Grâce au calligraphie dont la personnalité
s'apprécie dans les signes qu'il trace.
Ses idéogrammes sont imprégnés de son vécu
comme de ses émotions présentes; ils sont aussi le reflet
de la société qui l'entoure. C'est ainsi que l'on peut
lire l'histoire de la Chine dans l'évolution de son
écriture.
L'écriture
chinoise éclôt il y a 6000 ans dans une
société primitive. Plusieurs hypothèses sont
émises quant à ses origines. L'observation des dessins
trouvés sur de très anciennes poteries laisseraient
penser qu'à l'aide de ficelles, les hommes auraient tracé
différents caractères composés de traits et de
noeuds, par exemple: composé par une ou plusieurs ficelles, ou
par des ficelles croisées, ou plusieurs noeuds sur une
même ficelle. Ces signes sont employés pour exprimer les
notions des chiffres, des directions etc…
Ce
pourrait être aussi le dessin du Bagua de FuXI qui aurait
inspiré les premiers idéogrammes: ciel, marais, feu,
tonnerre, vent, eau, montagne, terre …
Une
troisième légende attribue à Chang Ji l'origine de
l'écriture. Il se serait inspiré de la nature, du ciel,
des empreintes laissées au sol par les animaux pour créer
des caractères symboliques.......
Ainsi, pendant 3000 ans, l'écriture chinoise connaît une
longue période d'élaboration jusqu'à la fin de la
dynastie Shang (1765-1122 av J.C.).
Ce
n'est qu'en 1899 que d'importants renseignements ont pu être
recueillis sur l'évolution de l'écriture en Chine.
A cette date, un spécialiste des écriture anciennes, Wang
Yirong, souffrant, se rendit chez son pharmacien pour acheter des
remèdes composés par des carapaces de tortues. Il vit des
signes gravés sur ces carapaces qui suscitèrent sa
curiosité. Il comprit qu'il s'agissait là
d'idéogrammes très anciens. Ses recherches
l'amenèrent dans la province de HeNan, sur les ruines de la
capitale Yin sous la dynastie Shang, un lieu qui paraît
être le berceau de l'écriture chinoise. A cet endroit,
5000 caractères ont été répertoriés
sur près de 150 000 supports différents: carapaces de
tortues, os d'animaux et humains ...Ces textes relatent essentiellement
les activités sociales de l'époque, des
cérémonies et des divinations.
En
1121, le dynastie Shang est remplacée par la dynastie Zhou qui
se caractérise par un développement remarquable dans la
fabrication des objets en bronze. Leur fonction utilitaire à
l'origine (récipients à nourriture, vases à
boisson ) se matérialise en des formes variées, et sert
de support aux inscriptions des préceptes émis par le roi
sur les méthodes de gouvernement et les lois régissant la
société. Parallèlement, la calligraphie a
considérablement évolué depuis l'écriture
sur les carapaces. Les caractères révèlent
déjà un haut niveau dans la recherche de
l'équilibre de la composition, la symétrie, les courbes,
le fini....
La nature idéographique et le principaux systèmes
constitutifs sont d'ores et déjà établis.
La fin de cette période est marquée par un déclin.
L'affaiblissement des Zhou provoque une division du pays. De ce fait la
calligraphie voit naître plusieurs styles.
Dans
la période qui suit, dite des Royaumes Combattants, apparaissent
les supports textiles, comme les rouleaux de soie. Cet
événement est générateur de grands
progrès, et marque la transition entre l'écriture
ancienne et la nouvelle qui perdurera jusqu'à nos jours.
En
221 av J.C. le premier empereur Qin Shihuandi réalise
l'unification de la Chine . Pour gommer les inconvénients des
spécificités locales, il entreprend une campagne
d'uniformisation à l'échelle du pays : économie,
culture, politique, arts subissent une profonde évolution y
compris l'écriture. Le premier ministre LiSi impose le style
XiaoZhuan, qui synthétise les principales formes
d'écritures en pratique dans les différents royaumes, par
exemple: le mot cheval
et dans le style Xiao Zhuan
Il s'agit d'une graphie nouvelle, plus simple, qui transforme les
signes picturaux en éléments plus symboliques, plus
abstraits, stylisés.
Cette écriture est utilisée pour les actes administratifs
officiels, et se trouve réservée à l'élite
des scribes.
Dans le même temps, Chen Miao un fonctionnaire opposant ayant
offensé l'empereur, est condamné à la prison.
Pendant ses 10 années de captivité, il se consacre
à l'évolution de l'écriture et réorganise
plus de 3000 caractères. Touché par ce travail,
l'empereur lui accorde sa grâce. Ce style est baptisé
"style de l''esclave" ou LiShu.
Il améliore considérablement la vitesse du tracé
car les traits courbes sont devenus droits, les arrondis sont devenus
angles, par exemple cheval de XiaoZhuan et de LiShu
C'est un tournant décisif, une véritable
révolution. Li Shu se répand dans les classes plus
modestes où il est adopté avec enthousiasme.
L'écriture devient une activité très vivante, en
constante effervescence. Elle préfigure déjà
l'ère moderne actuelle.
Cette évolution se caractérise non seulement par une
simplification des formes, mais aussi par une mise en valeur des
ressources de la souplesse du pinceau dans un souci esthétique,
pour en tirer toute la saveur.
Conjointement la forme du trait est plus variée. Limité
au départ aux plans horizontal et vertical, la calligraphie
conquiert une troisième dimension à savoir la profondeur.
Elle s'affranchit alors de sa fonction utilitaire pour s'engager dans
une perspective esthétique. Même si la première
écriture chinoise comportait déjà
d'évidentes qualités plastiques, il s'agit maintenant
d'une véritable démarche où le trait devient un
réel élément expressif, vivant, ayant une
entité propre.
La
dynastie Han (-206 à 220) constitue l'âge d'or de
la calligraphie. En 105 a lieu l'invention du papier. L'écriture
est davantage pratiquée, 7 styles parallèles se
développent. De nombreuses traces ont subsisté
grâce aux inscriptions sur les stèles, destinées
à être transmises par delà les
générations.
A partir du style Li Shu, la pratique de la calligraphie s'enrichit
d'expériences variées qui donnent naissance aux styles
courant et cursif, tous deux utilisés pour la vie quotidienne,
et aussi au style régulier.
Sous
la dynastie Sui Tang, (589-907) la société chinoise
connaît une ère de grande prospérité.
L'imprimerie existe déjà mais n'est pas beaucoup
exploitée. C'est le style régulier Kaishu qui sert
à reproduire les livres manuscrits. Il atteint son
apogée. Nous ne sommes qu'au 6ème siècle et
pourtant aucune modification notable n'interviendra plus jusqu'à
l'ère contemporaine. Le Kaishu, carré, se situe entre le
Lishu, plus large, et Zhuan Shu, plus allongé. La forme des
traits présente une variété supérieure
à tous les autres styles. Beaucoup de types de traits sont
inventés. Le rendu des contrastes s'accentue. La recherche de
l'harmonie dans l'asymétrie, de l'équilibre dans le
déséquilibre, la profondeur dans les pleins et les
déliés occupe une place prépondérante.
L'ouverture
de la Route de la Soie favorise les échanges entre
l'Orient et l'Occident et influence sensiblement les pratiques
culturelles, religieuses et artistiques. La calligraphie
n'échappe pas à cette dynamique et se laisse emporter
vers des formes plus épanouies, plus imposantes, plus
généreuses...
La
dynastie Song (960-1279) est marquée par le développement
de l'imprimerie. En contrepartie, la copie manuscrite est moins
utilisée. Loin de subir une régression, la calligraphie
prend au contraire un nouvel élan et devient une forme
d'expression suprême Le style courant et le style cursif
s'enrichissent en présentant davantage de mouvements. L'artiste
trouve grâce au pinceau et à l'encre un moyen
d'épancher son coeur. Il s'abandonne à ses
émotions, tout en recherchant une harmonie avec la nature dans
la spontanéité. Il s'engage corps et âme,
instantanément, en vue d'une totale réalisation.
Cette conception autorise davantage de libertés. Ainsi les
critères s'élargissent, la créativité n'est
plus bridée par les carcans des règles, ce qui instaure
d'ailleurs de nouvelles conventions. L'art du trait rend compte des
pulsions intimes de l'homme et du monde. Jaillie de l'infini du coeur,
la calligraphie atteint une perfection quasi surnaturelle chez les plus
grands maîtres.
Sous
les dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1912) les lettrés
occupent des fonctions au sein du pouvoir, mais ne parviennent pas
toujours à concrétiser leurs rêves dans la
société. Ils se retirent alors à l'écart
pour exprimer leur talent dans la calligraphie. L'esprit Zen (Chan en
chinois) pénètre cet art. L'homme recherche l'harmonie et
la communion avec la nature.
Il
faut avancer jusqu'en 1919 pour assister à un
phénomène qui changera radicalement le cours des choses :
le stylographe remplace le pinceau. Ce changement dans les moeurs se
répand comme un raz de marée. Le stylographe, plus
rapide, plus pratique, ne laisse pas de chance de salut à son
rival poilu, pour ce qui concerne la vie courante.
En
1949 est proclamée la nouvelle République Populaire de
Chine. Afin de rendre l'écriture accessible au plus grand
nombre, le régime communiste s'emploie en 1958 à
simplifier les caractères en réduisant le nombre de
traits. Par exemple : cheval . L'apprentissage et la
mémorisation sont facilités, mais souvent au
détriment de la qualité graphique.
Aujourd'hui
la calligraphie n'est plus un critère d'élévation,
de culture comme avant. Il n'est pas nécessaire de bien
écrire pour être bien considéré. Les enfants
pratiquent seulement une heure de calligraphie par semaine à
l'école. La difficulté et la longueur de
l'apprentissage effraient et rebutent à l'avance. Peu de
personnes consentent à s'investir dans cette discipline qui
reste un art à part. Le manque d'émulation rend "la terre
moins riche" et la calligraphie cherche son chemin dans les
tribulations du modernisme.
Aujourd'hui elle suscite toujours un grand respect mais elle se
pratique comme un rituel commémoratif, en hommage aux riches
heures du passé.
Si
l'ère actuelle a écarté la calligraphie de la vie
courante en Chine, elle lui a aussi ouvert les portes de l'Occident.
L'art du pinceau considéré comme une recherche
spirituelle attire une population croissante en quête de paix
intérieure. C'est sans doute là le tremplin qui le fera
rebondir.
La calligraphie ne fait plus l'exclusivité du sol chinois et
doit trouver à l'extérieur matière à
assurer son devenir. Grâce à l'apport des autres cultures,
elle peut cesser de n'être qu'un mythe
vénéré, et de nouveau s'accorder au dynamisme de
l'univers.
Sun Wendi